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Séjour d’écriture en Aveyron

Dernière mise à jour : 16 sept.

L’atelier d’écriture du mois d’août en Aveyron, animé par Ariane Van Compernolle, a permis de belles rencontres et l’éclosion de très beaux textes inspirés par la nature environnante, le lieu de séjour et ses alentours. Nous vous en proposons quelques uns.


La porte de la chambre est fermée. Il me faut forcer un peu pour l'ouvrir. C'est une porte en bois, qui autrefois a été vernie. J'avance à  tâtons dans le noir vers la fenêtre en écartant de fines toiles d'araignée. La fenêtre force un peu aussi, mais les volets, en bois également, m'offrent une vue splendide sur la vallée. C'est donc là que tu regardais en te levant les matins, avant de faire ta toilette de chat devant la coiffeuse avec le broc et la bassine en émail, de t'habiller, corset, combinaison, robe plus ou moins épaisse selon la saison, et de descendre sans bruit dans la cuisine rallumer le feu, préparer le café, couper le pain pour la maisonnée, disposer les confitures, les bols, le sucre sur la toile cirée. Je pense que tu t'accordais un petit moment de répit en buvant un premier petit café avant d'aller réveiller les enfants, avant que le mari se réveille.

Dans la chambre il fait clair maintenant. Du papier peint bleu et vert tapisse les murs et se décolle un peu par endroits. Le lit occupe presque toute la place, avec ses montants en bois ciré, son édredon rouge, encore gonflé, l'oreiller et les draps fleuris. Tout ça sent un peu la poussière, il me faudra aérer.

L'armoire, imposante, je l'ouvrirai, mais plus tard. Je veux, pour le moment, me souvenir de toi lentement. Ma grand-mère Marguerite. Qui n'était pas toujours gentille, il faut le dire, et qui était même un peu sévère.

Sur un côté du lit, il y a une table de nuit. Sur la table de nuit, un petit bouquet de fleurs fanées depuis longtemps, un réveil arrêté, une lampe de chevet avec un abat-jour à rayures blanches et roses. J'ouvre la porte. Dedans, il y a le seau avec son couvercle. Au desus, le tiroir, qui était ton petit espace à toi, où personne ne venait regarder, où tu remisait ce qui t'apartenait en propre, des souvenirs peut-être qui n'avaient de valeur que pour toi, des sous à coup sûr, dans un vieux porte-monnaie. J'hésite un peu, puis je tire sur le bouton, tout rond, un peu blanc là où les doigts se sont si souvent posés. Cette petite boite sur laquelle sont collés des coquillages, je la connais bien, c'est moi qui te l'avais offerte. Je la prend, actionne le fermoir de métal. Je trouve, dans un petit sachet, une mèche de cheveux blonds enroulée, une toute petite dent de lait. Une chevalière avec, gravé, le prénom de mon grand-père, ton mari, et une date, celle de votre mariage. Un collier de perles qui qurait mérité plus d'attention,un bracelet coloré comme en font les enfants à l'école. Et LE collier en  sautoir. Que tu portais toujours sur ta robe, en allant à la messe, en rendant visite à tes voisins, lorsque tu recevais aussi. Collier de fines mailles d'argent, avec, en sautoir, une photo, dans un petit cadre ovale, de ta fille, ma mère, enfant, et un petit garçon que je n'ai pas connu. Tous deux posent devant un jardin fleuri, en se tenant par la main. Ils sont soigneusement coiffés, proprement habillés, et sourient doucement. Je sais que cet objet t'était cher, qu'il t'a accompagné pendant ta vie de jeune épouse, de jeune maman, de femme mûre, de vieille femme, de femme mourante, et je suis émue.

Jeanne Beylot


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Au couderc du Bosc ce matin, je suis posée. J’avais besoin d’un moment de repos, de plonger mon regard dans l’horizon en me laissant caresser par la chaleur timide des rayons du soleil de dix heures. Je respire profondément, je me trouve presque dans un état méditatif. Les fesses posées sur un petit muret, près du tilleul, mes yeux sillonnent cette vallée du Tarn qui s’ouvre devant moi. Ils s’attardent sur cette église ou chapelle qui semble perdue au milieu des chênes et châtaigniers, surplombée par sa vierge blanche.

Une voix fatiguée, moutonneuse et chantant le Sud me tire de mes pensées.

- Je la connais bien moi !

Je me retourne aussitôt et tombe sur un vieil homme, habillé en bleu de travail recouvert d’un gilet beige, une casquette sur la tête et une canne à la main. Je ne l’ai même pas entendu arriver jusqu’à moi, alors que ses savates râclent le sol dans un bruit pas possible pour faire les deux derniers pas qui l’amènent à ma hauteur. Je devais être sacrément ailleurs.

Il répète sa phrase en me pointant la chapelle du bout de sa canne. Il m’explique alors qu’il est le doyen du village du Bosc, et qu’il a toujours vécu là. Je suis surprise qu’il adresse alors la parole à une vacancière comme moi, mais je le sens dans une forte envie de parler. Alors je le laisse me partager ses souvenirs, pour mon plus grand plaisir.

Lorsqu’il était enfant, Note Dame du Désert était l’un de ses terrains de jeux. Ils s’y retrouvaient avec les autres enfants des villages alentours, les jours de messe ou de cérémonie. En arrivant sur les lieux, sa grand-mère l’agrippait par la main et ne lui laissait pas d’autre choix que de suivre le chemin de croix avec elle. Elle s’arrêtait et priait tous les vingt mètres, c’était interminable. Toutes les grand-mères faisaient pareil, et chaque enfant se retrouvait prisonnier de son aïeule à ce moment-là. Alors ils s’échangeaient des clins d’œil et des sourires, en prévision de leurs retrouvailles imminentes, dès qu’ils seraient libres. Pendant que tout le monde entrait dans l’église, de petites fourmis s’échappaient au fur et à mesure, à contre-courant. Les premiers avant même de passer les portes, et les derniers s’enfuyaient des bancs, une fois leur grand-mère assise, sachant qu’elle mettrait trop de temps à se relever et n’arriverait pas à les rattraper.

C’était alors la libération, et leur vrai dimanche commençait. Ils escaladaient les rochers mousseux entre les branches des vieux chênes, ripaient, tombaient souvent, s’égratignaient parfois, puis repartaient toujours. Le rendez-vous était donné au pied de la sainte vierge en haut de la colline. Tous les enfants s’y retrouvaient, puis souvent ça partait en cache-cache. Il y avait un nombre infini de cachettes : un vieil arbre biscornu, une grosse pierre verdie par la mousse, l’arrière de l’église ou encore les tombes de la famille Bregou. Parfois ils peinaient même à retrouver tout le monde.

Alors qu’il me raconte ce chapitre de sa vie et que les mots chantent et dansent les uns après les autres, j’entends sa voix se serrer. Il me partage, ému, qu’il s’était marié en secret à dix ans avec son amoureuse là-bas. Tous les copains s’étaient répartis sur les bords des marches en face de l’église, laissant une haie d’honneur, sous la musique et les chants qui résonnaient depuis l’intérieur. Elle et lui étaient arrivés chacun d’un côté en haut des marches, et du haut de leur petite taille d’enfant. Ils s’étaient pris bras-dessus bras-dessous pour descendre les escaliers, se courbant sous les feuilles et les glands que leurs amis jetaient en l’air en criant « Vive les mariés ! ».

Il marque une pause. Un long silence dure le temps que la larme ayant vu le jour au creux de son œil descende le long de sa joue jusqu’à s’échouer plus bas sur son gilet. Il me confie alors, presque en chuchotant.

- Elle est réellement devenue ma femme quelques années plus tard. Mais des deux mariages, c’est celui-ci que j’ai préféré.

Camille Gillet



Le moulin à café

Jean rêvait qu’il était aux jeux olympiques quand l’alarme de son téléphone l’arracha au sommeil. Il était 7 heures. Dans trois quarts d’heure il devrait être sur son vélo, direction le boulot à la périphérie de la ville. Il était gérant du Décathlon.

Il descendait l’escalier en baîllant, prenant petit à petit la mesure du quotidien, s’éloignant de la course cycliste qui l’avait ocupé une partie de la nuit.

Il entra dans la cuisine et, comme chaque matin – le rituel était immuable – il prépara le café. Jean ne possédait ni Senseo, ni Nespresso, ni aucune machine pour faire le café.

Son plus grand plaisir – après le vélo – c’était de préparer le café à l’ancienne. D’abord une poignée de grains noirs dans le moulin, puis il tournait la manivelle. Ca pouvait prendre trois ou quatre minutes. Ce petit exercice matinal avait le don de le réveiller tout à fait. Les grains ainsi moulus tombaient dans un petit tiroir, en fine poudre odorante et prometteuse. L’eau était déjà en train de bouillir. Jean attrapa la cafetière, y déposa le filtre dans lequel il jeta le café moulu, puis, délicatement, y versa l’eau frémissante.

C’est à ce moment-là, toujours, qu’arrivait Sophie, par l’odeur attirée. Elle s’étirait encore, s’extirpant de la nuit. Elle s’asseyait, la tasse fumante déjà devant elle. Puis elle regardait son homme, et derrière lui, ce joli moulin a café, reçu de sa grand-mère, qui elle-même avait dû en hériter longtemps avant.

Dans son esprit encore brumeux, elle se dit que Jean, elle l’aimait profondément, passionnément et pour toujours. Et que peut-être, le vieux et beau moulin à café n’était pas pour rien dans son bonheur.

Nathalie

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